lundi, mai 01, 2006

Chut...

Le train roulait à vive allure, les paysages les plus divers se mêlant dans un brouillard de couleurs. Le bruit régulier des rails était apaisant et je me sentais glisser peu à peu dans le sommeil. Je savais que je n’aurais pas dû mais la fatigue s’était accumulée au fil de ces dernières heures très éprouvantes… Les bruits s’étouffèrent progressivement, au même rythme que mes paupières qui se fermaient.
Ma tête percuta violement la fenêtre, me tirant du même coup du sommeil. Je retins un gémissement, frottant mon front douloureux dans l’espoir d’atténuer les élancements. Je regardais furtivement autour de moi, mais aucun de mes voisins de voyage ne semblait remarquer quoi que ce soit. Je soupirai brièvement, regrettant le temps où les gens osaient s’adresser la parole, puis retournai à la contemplation du paysage, me prenant au jeu de compter les vaches qui nous regardaient passer. Peut-être avaient-elles le même jeu ? Je laissai échapper un petit rire à cette idée, qui s’étrangla à l’instant même où je croisais mon reflet dans la vitre…

Ou plutôt devrais-je dire… mon absence de reflet !
Ma vision devait me tromper ! Comment pouvais-je ne plus avoir de reflet ?!?! La lumière dans le compartiment n’avait pas changé et je voyais l’image des autres passagers.
Je jetai un regard inquiet vers mes voisins de banquette et ne leur surpris aucune réaction particulière. Tous continuaient leur occupations diverses. C’est avec beaucoup d’appréhension que je lançai à nouveau un coup d’œil vers la fenêtre… Toujours rien !!!
Je me levai alors avec précipitation pour aller tenter l’expérience avec le miroir des toilettes. Même résultat…
Je me ruai alors vers une jeune femme en train de se repoudrer le nez à l’aide de son miroir de poche et lui demandai vivement de me le prêter. Celle-ci ne réagissant nullement finit d’achever l’état de nerfs dans lequel je me trouvais.
J’avais pourtant la légère impression d’avoir déjà vécu ça, sans pouvoir imaginer quoi faire pour sortir de là !!!
Prise de panique et ne voyant pas d’autre solution, je fonçai en trombe tirer la sonnette d’alarme qui actionnerait les freins d’urgence du train.
Celui-ci réduisit sa vitesse de manière si brusque et inattendue que je me retrouvai projetée sur les genoux du premier voyageur venu et que mon crâne emboutit cette fois le bord de la tablette. Sonnée, je relevai cependant la tête pour constater à nouveau l’absence de réaction des passagers si ce n’est un léger sourire narquois sur les lèvres de l’un ou l’autre. Tournant mon regard vers la fenêtre, je remarquai que le train était à l’arrête en plein milieu des champs. Les vaches avaient arrêté de brouter et me regardaient paisiblement.
Mes yeux dévièrent alors légèrement vers l’endroit où devait se trouver mon reflet. Vers l’endroit où était mon reflet. Je notai une zébrure rougeâtre me marquant la joue droite. Mes yeux se détournèrent alors vers l’objet que je tenais entre les mains, le livre que je venais de terminer et sur lequel je devais m'être assoupie : IMPRESSIONS FUGITIVES. L'OMBRE, LE REFLET, L'ÉCHO, de Clément Rosset…
Je voulus alors relire le résumé :

« Une étude des différentes figures du double, conçu comme marque d'irréalité et principal facteur d'illusion, telle que je la mène depuis longtemps, serait incomplète sans une brève exploration des domaines de l'ombre, du reflet et de l'écho. Car, et contrairement aux doubles porteurs d'illusion, ces doubles de " seconde espèce " sont des garants de la réalité des objets dont ils constituent l'environnement forcé, quelque fugitif et parfois inquiétant que celui-ci puisse sembler. La littérature nous enseigne depuis longtemps ce qu'il en coûte d'être privé de son ombre ou de son reflet et, pour parodier La Fontaine, qu'à lâcher l'ombre on perd aussi la proie. »


Bulle Grenadine pour l'aller
Chani pour le retour